L’engagement des autorités communales dans les campagnes de votation
Les initiatives populaires mais surtout les référendums sont choses courantes dans de nombreuses communes. Ils donnent parfois lieu à d’âpres campagnes où s’affrontent des camps aux positions tranchées. La municipalité est un acteur politique majeur à cet égard, puisqu’elle est souvent à l’origine des projets qui sont contestés par la voie du référendum. Cependant, ses interventions dans la campagne sont encadrées et limitées par plusieurs principes constitutionnels.
Cet article met en lumière les possibilités d’action d’un exécutif communal dans une campagne de votation, en définissant les actions concrètes qu’il peut entreprendre.
La fonction d’information de la municipalité
La municipalité a pour charge de diriger la commune. Cela implique qu’elle doit tenir la population informée de sa politique et des projets qu’elle développe en faveur de la collectivité. Dans le cadre d’une votation, la municipalité peut donc intervenir dans le débat public afin de faire part de sa vision du bien commun. Par la force des choses, la municipalité se trouve au cœur des débats ; son action et ses projets sont souvent remis en cause par les initiatives et référendums communaux. La participation de la municipalité au débat public est donc inévitable. Celle-ci n’est pas tenue de rester neutre et peut émettre une recommandation de vote à l'intention des citoyens.
Cependant, les interventions de la municipalité sont cadrées et limitées par un certain nombre de principes et de garde-fous, au premier rang desquels on trouve la liberté de vote. Ce principe, inscrit dans la Constitution fédérale (article 34), vise à assurer que le résultat d’un scrutin reflète la volonté réelle des citoyens. Cette disposition protège ainsi ces derniers contre des interventions excessives des autorités, et leur permet ainsi de se forger librement une opinion. Le Tribunal fédéral a développé à ce propos une abondante jurisprudence qui s’impose à toutes les autorités : fédérales, cantonales et communales. Il en ressort que les autorités sont dans une position ambivalente. En effet, elles doivent fournir certaines informations aux citoyens afin de remplir leur fonction d’information et que ces derniers puissent se prononcer en toute connaissance de cause. En même temps, elles doivent s'abstenir de toute propagande et d'informations erronées ou tendancieuses. Pour cette raison, toute intervention de l’autorité dans une campagne de votation est conditionnée et limitée par certains principes inhérents au respect de la liberté de vote.
Les principes qui encadrent la communication de la municipalité durant une campagne
Toute communication officielle dans le cadre d’une campagne de votation doit impérativement respecter trois principes cardinaux : l’objectivité, la transparence et la proportionnalité. On pourrait les résumer comme suit :
- Le principe de l’objectivité impose à l’autorité de fournir une information fiable, complète et équilibrée sur le but et la portée de l’objet soumis à votation. Le message adressé aux électeurs doit leur permettre de se faire une image fidèle et objective du sujet. À cette fin, les propos et le ton choisis demeureront mesurés et les arguments développés seront, dans la mesure du possible, fondés sur une base factuelle vérifiable. L’objectivité requise de l’autorité implique un certain devoir d’exhaustivité de sa part, qui ne doit cependant pas être interprété de manière trop stricte. Il lui est interdit de passer sous silence des éléments importants pour la formation de l’opinion du corps électoral ou de restituer faussement les arguments développés par le comité d’initiative et de référendum. En revanche, elle n’est pas tenue d’aborder chaque détail du projet dans ses interventions.
- Le principe de la transparence exige que les interventions officielles soient, sans ambiguïté, identifiables comme telles par le citoyen. L’autorité ne peut donc agir de façon opaque, par exemple en finançant en sous-main un comité en faveur de sa position. Elle ne saurait également amalgamer ses prises de position avec celles d’un comité privé en présentant de manière indistincte une position partisane et la position officielle dans le contenu informatif dont elle est l’éditrice. En outre, le principe de transparence exige de l’autorité qu’elle fasse toute la lumière sur les sources et la nature de l’information qu’elle délivre aux électeurs. S’il existe par exemple des incertitudes sur des estimations chiffrées, celles-ci doivent être présentées comme telles afin que l’électeur ne soit pas trompé en pensant avoir affaire à des statistiques fiables.
- Le principe de la proportionnalité interdit aux autorités de faire usage de moyens démesurés au cours de la campagne. La proportionnalité des moyens utilisés se mesurera avant tout à l’aune des moyens utilisés par les acteurs privés dans la même campagne de votation. En somme, la municipalité ne saurait engager des moyens qui dépassent largement les moyens investis par les acteurs privés. De surcroît, la municipalité ne peut engager que les moyens qui apparaissent nécessaires à la bonne information du corps électoral. Par exemple, si la municipalité a déjà eu l’occasion de faire passer une information par le biais d’un canal ou d’un autre (brochure explicative, communiqué de presse, participation à un débat), elle n’est en principe plus légitimée à utiliser des moyens supplémentaires pour faire passer le même message.
Si la municipalité ne respecte pas l’un de ces trois principes, elle se rend coupable d’une violation de la liberté de vote ce qui peut avoir pour conséquence une annulation du résultat du vote par l’autorité de recours compétente. Toute opération de communication doit donc être mûrement réfléchie avant d’être entreprise.
Comment la municipalité peut-elle participer à une campagne de votation ?
Le moyen traditionnel utilisé par la municipalité pour faire part de sa position est la brochure explicative. Son contenu est déterminé par l’art. 24 de la loi vaudoise sur l’exercice des droits politiques (LEDP). Ce document doit contenir mot pour mot la question posée aux électeurs ainsi que des explications succinctes et objectives sur l'objet du vote. Elle contient également le résultat du vote du conseil, un avis et une recommandation de vote de la municipalité. Les recommandations de vote des différentes formations politiques représentées par un groupe au conseil y figurent également. L’avis des opposants à la position défendue par la municipalité doit aussi figurer dans la brochure explicative. Le comité d’initiative ou référendaire doit faire parvenir au greffe municipal un texte présentant ses arguments. Un tel texte doit être traité équitablement sur le plan graphique et occuper une place similaire à l’avis des autorités. Il doit donc y avoir équilibre entre les deux textes.
En règle générale, une brochure explicative est composée de trois parties principales : une explication objective et factuelle de l’objet soumis à la votation (description des points les plus importants du projet, historique du projet, résultat du vote au Conseil, etc…), dont la taille est laissée à la libre appréciation de l’autorité, l’argumentaire de la municipalité et l’argumentaire du comité référendaire ou d’initiative. Ces deux dernières parties doivent être d’une taille similaire.
D’autres formes d’intervention de la municipalité ne sont pas interdites sur le principe. Par exemple, les membres de la municipalité peuvent participer à des débats contradictoires pour défendre la position de leur autorité. La municipalité peut également réaliser des actions de communication sur les réseaux sociaux ou faire paraître des communiqués de presse. Aucune technique d’information n’est a priori prohibée. L’essentiel est que les principes de l’objectivité, de la transparence et, surtout, de la proportionnalité soient respectés. Pour cette raison, la municipalité ne peut en aucun cas s’immiscer dans le débat public à la manière d’un acteur partisan en faisant usage de moyens de propagande politique. Toute intervention de l’exécutif communal doit toujours viser une information juste et équilibrée du corps électoral. Ainsi, par exemple, la municipalité ne peut multiplier les interventions en cours de campagne, à la manière d'un comité, ni engager des moyens visant à occuper tout l'espace public et médiatique, de manière à empêcher les opposants de faire valoir leur point de vue.
FAQ
En sa qualité de service d’appui juridique aux communes, la direction générale des affaires institutionnelles et des communes (DGAIC) doit fréquemment répondre à des questions relatives aux limites aux interventions des autorités communales dans les scrutins. Voici une liste qui permet d’illustrer les problèmes pratiques auxquels les municipalités sont le plus souvent confrontées.
La municipalité peut-elle intervenir pour corriger des propos erronés ou trompeurs tenus durant la campagne ?
Oui, à certaines conditions. La rectification d’affirmations fausses ou tendancieuses peut constituer un motif d’intervention pour autant que les propos incriminés soient de nature à induire en erreur les citoyens sur des points centraux du projet. De plus, l’intervention de la municipalité revêt un caractère subsidiaire, en ceci que si des acteurs privés ont déjà pu rétablir la vérité des faits, la municipalité n’est plus tenue d’intervenir. Sur le fond, la rectification de la municipalité doit se limiter à une mise au point purement factuelle.
À partir de quel moment doit-on considérer que la campagne de votation a débuté ?
C’est une question importante car elle détermine à partir de quel moment la municipalité est soumise aux devoirs d’objectivité, de transparence et de proportionnalité. À cet égard, il faut considérer que la campagne démarre dès le dépôt du référendum ou de l’initiative. Les principes précités doivent donc également être respectés durant la récolte des signatures et non pas uniquement durant les semaines avant le vote.
La municipalité peut-elle engager des fonds publics pour des opérations de communication ?
Dans la mesure où l’intervention de la municipalité est fondée en droit, elle peut être financée à l’aide des deniers publics. La municipalité doit impérativement veiller à faire un usage proportionné de l’argent public, en n’engageant que les fonds qui apparaissent strictement nécessaires à l’accomplissement de sa fonction d’information. Elle ne saurait également engager des sommes qui dépassent largement les investissements consentis par les acteurs privés. Enfin, la municipalité est tenue de respecter les règles budgétaires en vigueur. Ses opérations de communication doivent être inscrites sur une ligne budgétaire adéquate et dans la limite de celle-ci. Enfin, les deniers publics ne peuvent servir à financer que les propres interventions de la municipalité, et en aucun cas un comité soutenant son projet.
Comment établir la brochure explicative en cas de référendum spontané alors qu’il n’existe aucun comité référendaire constitué et apte à développer un argumentaire ?
Aucune source légale ou jurisprudentielle ne répond pour l’heure à cette question. La solution la plus pratique consiste à demander aux conseillers qui se sont opposés au projet au conseil de se constituer en comité ou référendaire ou, à tout le moins, de proposer un argumentaire qui pourra figurer dans la brochure explicative. Si une telle entreprise échoue, la municipalité peut résumer elle-même les arguments développés par les opposants au projet lors des débats au conseil.
Les autorités communales peuvent-elles intervenir dans une campagne de votation d’une autre commune ou à l’occasion d’une votation cantonale ou fédérale ?
Les autorités communales ne sont pas censées intervenir dans un scrutin se déroulant dans une autre commune. En revanche, elles peuvent intervenir dans un scrutin cantonal ou fédéral à la condition impérative que la commune nourrisse un intérêt direct et particulier à l’issue du scrutin. Cette condition sera remplie s’il est démontré que la commune serait impactée (sur le plan financier, des infrastructures, politique, juridique, administratif, etc.) par le résultat du vote d’une façon bien plus conséquente que la majorité des autres communes du canton (dans l’hypothèse d’une votation cantonale) ou du pays (en cas de votation fédérale).
Les membres de la municipalité peuvent-ils être membre d’un comité de campagne ?
Cela est permis sur le principe. Cependant, un municipal ne peut être membre d’un comité de campagne qu’à titre individuel. S’il peut faire état de sa fonction de municipal, il ne doit pas laisser croire qu’il représente la municipalité dans son ensemble et en tant qu’autorité officielle. Les amalgames et confusions entre la municipalité et les comités privés sont néanmoins difficiles à éviter – en particulier dans les communes de petite ou de moyenne taille – raison pour laquelle la DGAIC déconseille aux municipaux de s’engager activement dans les comités de campagne.
Le Conseil général ou communal peut-il intervenir au même titre que la municipalité ?
Le conseil est l’autorité compétente pour décider de la recommandation de vote qui sera transmise aux citoyens de la commune (art. 106o al. 2 LEDP). En cas de désaccord entre municipalité et le conseil sur la recommandation à donner aux électeurs, c’est la décision du conseil qui prime. Pour le reste, le conseil n’est pas une autorité collégiale comme la municipalité et n’est censé parler d’une seule voix. Si les membres d’un conseil général ou communal peuvent bien entendu s’engager individuellement dans une campagne, le conseil en tant qu’autorité officielle communale n’a pas à intervenir dans la campagne. Il revient à la municipalité de défendre la recommandation de vote décidée par le conseil.
Conclusions
En résumé, on peut affirmer que s’il est admis qu’une municipalité peut intervenir dans une campagne en vue d’un scrutin communal, elle doit le faire avec prudence et en respectant les principes d’objectivité, de transparence et de proportionnalité. Elle ne peut en aucun cas «faire campagne» et son intervention doit être limitée, que ce soit en termes de contenu ou de fréquence.
Direction générale des affaires institutionnelles et des communes (DGAIC),
direction des affaires communales et des droits politiques
Pour aller plus loin
Un guide pratique concernant l’engagement des autorités communales dans les campagnes de votation sera mis prochainement à la disposition des communes. Il devrait paraître d’ici le début de l’année 2021.