Ouverture des marchés publics suisses à la concurrence internationale : quelques rappels à la faveur d’une double actualité

Cette chronique présente des problématiques rencontrées par les communes ou leurs mandataires dans le cadre de l’application des marchés publics, qui sont régulièrement soumises pour détermination au Centre de compétences sur les marchés publics du canton de Vaud (CCMP-VD). Elle vise à sensibiliser les communes sur certains aspects particuliers des marchés publics et à leur fournir les outils nécessaires à la résolution de situations parfois complexes.

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Publié le 11 décembre 2023

Actualité principale : les valeurs seuils internationales actuelles sont maintenues pour 2024/2025

Selon la Communication de l’Autorité intercantonale sur les marchés publics en date du 28 novembre 2023, les valeurs seuils internationales pour les années 2024/2025 demeurent inchangées par rapport à celles applicables en 2022/2023. Ces valeurs seuils sont indiquées dans l’annexe 1 de l’accord intercantonal du 15 novembre 2019 sur les marchés publics (AIMP).

Système des valeurs seuils internationales

L’accord OMC du 30 mars 2012 sur les marchés publics (AMP 2012) et l’accord bilatéral du 21 juin 1999 entre la Suisse et l’Union européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics prévoient une ouverture mutuelle des marchés publics lorsque ceux-ci atteignent certains montants, appelés valeurs seuils. C’est dans ce cadre que la Suisse a négocié les valeurs seuils à partir desquelles les adjudicateurs suisses (Confédération / cantons, communes districts / entreprises sectorielles) doivent ouvrir leurs marchés publics aux soumissionnaires dont le siège est situé dans l’un des états parties à l’AMP 2012, respectivement dans un Etat membre de l’Union européenne.

Les valeurs seuils internationales valables pour la Suisse sont indiquées dans les annexes 1 à 3 de l’Appendice I de l’AMP 2012, ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 4 de l’accord bilatéral.

Les valeurs seuils internationales sont fixéespar types de marchés (fournitures / services / construction) et par catégories d’adjudicateurs. Des valeurs seuils différentes s’appliquent donc selon que l’adjudicateur est :

  • la Confédération,
  • un canton, une commune ou un district,
  • une entreprise sectorielle.

En matière de marchés de fournitures et de services, les valeurs seuils applicables aux cantons, communes et districts sont ainsi supérieures à celles valant pour la Confédération, mais inférieures à celles applicables aux entreprises sectorielles.

A l’origine, les valeurs seuils internationales ont été fixées en droits de tirages spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international1dans l’AMP 2012 et (en partie) en euros dans l’accord bilatéral. Elles sont exprimées hors taxes (HT), c’est-à-dire sans tenir compte de la TVA.

Depuis lors, les valeurs seuils internationales ont été converties dans les monnaies nationales, raison pour laquelle elles sont indiquées en francs suisses (hors taxes) dans l’annexe 1AIMP pour ce qui concerne les marchés des cantons, des communes et des entreprises sectorielles (relevant du niveau cantonal ou communal).

Procédures concernées par les valeurs seuils internationales

L’adjudicateur doit naturellement se poser la question du dépassement ou non des valeurs seuils internationales lorsqu’il lance une procédure ouverte ou sélective, mais également lorsqu’il entend adjuger directement le marché en gré à gré exceptionnel (art. 21, al. 2 AIMP).

A cet égard, l’adjudicateur envisageant d’adjuger un marché en gré à gré exceptionnel (art. 21, al. 2 AIMP) doit faire preuve de prudence et de diligence,car le franchissement des seuils internationaux :

  • rend plus difficile la satisfaction des (strictes) conditions de certaines clauses d’exception de l’art. 21, al. 2 AIMP : l’adjudicateur souhaitant se prévaloir d’un motif de gré à gré exceptionnel fondé sur le soumissionnaire unique (let. c) ou l’impossibilité de changer de soumissionnaire (let. e) doit faire des recherches approfondies (réelles) dans l’ensemble des états parties à l’AMP 2012 (y compris l’Union européenne) ;
     
  • augmente le cercles des recourants potentiels contre la décision d’adjudication, quel que soit le motif de l’art. 21, al. 2 AIMP invoqué. Pour rappel, la décision d’adjudication de gré à gré exceptionnel jouit d’une large publicité puisqu’elle doit être notifiée par voie de publication sur la plateforme simap (art. 23, al. 4 et 24 RLMP-VD) et que dans l’hypothèse où la procédure est soumise aux accords internationaux, cette publication sur simap est relayée dans l’organe officiel de publication des autres Etats parties. A noter encore que la décision d’adjudication doit comprendre les motifs justifiant le recours à la procédure de gré à gré (art. 51, al. 3, let. d AIMP) et qu’une documentation doit être établie conformément aux exigences de l’art. 21, al. 3 AIMP.

Spécificité en matière de marchés de services

Le franchissement des seuils internationaux n’entraîne pas d’office l’ouverture à la concurrence internationale du marché de services en question : seuls les marchés concernant les services indiqués dans la liste exhaustive de l’annexe 5 AMP 2012 doivent être ouverts aux soumissionnaires étrangers.

Cette annexe 5 renvoie à une nomenclature des Nations Unies (la Classification centrale des produits [CPC]) qui détaille les services, en attribuant à chacun un numéro de référence. Avant d’ouvrir un marché de services à la concurrence internationale, l’adjudicateur doit donc vérifier s’il y est effectivement tenu à la lumière de l’annexe 5. Par exemple :

  • les marchés de location de services et de déménagement d’œuvres d’art ne ressortent pas de l’annexe 5. Ils ne sont donc pas soumis à la concurrence internationale, même lorsque les valeurs seuils internationales applicables aux marchés de services sont atteintes ;
     
  • les « services d’assurance » sont visés à l’annexe 5, qui elle-même renvoie aux n° 812 et 814 CPC. Le n° 812 de la nomenclature CPC vise les « services d’assurance (y compris de réassurance) et de caisse de pension, à l’exclusion des services de sécurité sociale obligatoire ». Ceux-ci recouvrent notamment les assurances des premier et deuxième piliers, l’assurance accident, l’assurance maternité et l’assurance perte de gain obligatoire ainsi que les prestations en matière d’allocations familiales (comme indiqué sous le n° 913 CPC). Il en résulte que les marchés portant sur des services de sécurité sociale obligatoire ne doivent pas être ouverts à la concurrence internationale, même lorsque les valeurs seuils sont atteintes. Si, dans un marché donné, la part obligatoire est supérieure à la part surobligatoire, alors la qualification de service de sécurité sociale obligatoire devrait l’emporter (cf. même raisonnement qu’en matière de marché mixte, art. 8, al. 3 AIMP) et le marché n’aurait donc pas à être ouvert à la concurrence internationale.

Possibilités liées à l’ouverture du marché à la concurrence internationale

Utilisation de la clause de minimis dans les marchés de construction

En application de la clause de minimis(cf. art. 16, al. 3 AIMP et annexe C du Guide romand pour les marchés publics), l’adjudicateur peut adjuger, sans les ouvrir à la concurrence internationale, les marchés de construction nécessaires à la réalisation d’un ouvrage dont la valeur totale atteint les seuils internationaux, lorsque les trois conditions cumulatives suivantes sont remplies :

  • la valeur globale de l’ouvrage (CFC 1 + 2 + 3 + 4, hors TVA et sans honoraires) atteint la valeur seuil déclenchant l’ouverture à la concurrence internationale, soit CHF 8,7 mio HT ;
     
  • les marchés qui font l’objet de la clause de minimis sont des marchés de construction dont la valeur est inférieure à CHF 2 mio HT (CFC à 3 chiffres) ;
     
  • le montant cumulé des marchés de construction (CFC à 3 chiffres), pris en compte pour appliquer la clause de minimis, ne dépasse pas 20% de la valeur globale de l’ouvrage.
     

Réduction des délais

L’adjudicateur peur profiter du fait que le marché est ouvert à la concurrence internationale pour utiliser les diverses possibilités de réduction des délais prévues dans l’AIMP (délai de remise des offres dans les procédures ouvertes et sélectives et délai de demande de participation dans les procédures sélectives, cf. art. 47 AIMP). A titre d’exemple, le délai minimal de remise des offres dans une procédure ouverte peut passer de 40 jours à 30 jours si l’adjudicateur publie simultanément l’appel d’offres et les documents d’appel d’offres sur la plateforme simap.

Restrictions liées à l’ouverture du marché à la concurrence internationale

Selon l’art. 29, al. 2 AIMP, ce n’est que dans les marchés non ouverts à la concurrence internationale que l’adjudicateur peut utiliser les critères de la formation des apprentis, de l’offre de places de travail pour les travailleurs âgés et de la réinsertion des chômeurs de longue durée. L’adjudicateur doit donc s’assurer que ces critères ne sont pas maintenus dans le cahier des charges dans les cas où sa procédure est ouverte à la concurrence internationale.

Bon à savoir également : la Macédoine du Nord a adhéré à l’AMP 2012

La Macédoine du Nord est partie à l’AMP 2012 depuis le 30 octobre 2023. Les entreprises macédoniennes peuvent donc déposer des offres dans les marchés publics suisses ouverts à la concurrence internationale en bénéficiant désormais de la protection des traités (droit de recours, etc.). Réciproquement, les entreprises suisses bénéficient de la même protection lorsqu’elles soumissionnent dans les marchés publics macédoniens.

 

1 Panier de devises dans lequel les principales monnaies internationales sont représentées et pondérées. Il est actuellement constitué du dollar américain, du yen (Japon), de l’euro, de la livre sterling, et du renminbi (Chine).


Secrétariat général du Département de la culture, des infrastructures et des ressources humaines (SG-DCIRH)
Centre de compétences sur les marchés publics du canton de Vaud (CCMP-VD)

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