Chronique des marchés publics : Procédure sur invitation : quelle marge de manoeuvre lorsque moins de trois offres sont déposées ?

Cette chronique présente des problématiques rencontrées par les communes ou leurs mandataires dans le cadre de l’application des marchés publics, qui sont régulièrement soumises pour détermination au Centre de compétences sur les marchés publics du Canton de Vaud (CCMP-VD). Elle vise à sensibiliser les communes sur certains aspects particuliers des marchés publics, et à leur fournir les outils nécessaires à la résolution de situations parfois complexes.

Photo d'illustration d'une grue de chantier
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Publié le 03 octobre 2018

Après un bref rappel des spécificités de la procédure sur invitation, nous présenterons dans cette édition l’affaire du Musée Jenisch.

Bref rappel des spécificités de la procédure sur invitation

La procédure sur invitation est applicable aux marchés de services et de travaux du second œuvre de 150'000 à 250'000 francs, aux marchés de fournitures de 100'000 à 250'000 francs et aux marchés de travaux du gros œuvre de 300'000 à 500'000 francs. Elle peut naturellement être appliquée aux marchés de services, de travaux et de fournitures d’une valeur inférieure. Lorsqu'il opte pour la procédure sur invitation, le pouvoir adjudicateur doit demander au moins trois offres à des entreprises, dont au moins une extérieure à la commune du lieu d’exécution (article 7, alinéa 1, lettre bbis de la loi sur les marchés publics [LMP-VD]). Le but de cette disposition est d'assu-rer la concurrence efficace entre les soumissionnaires.

La procédure sur invitation se distingue de la procédure ouverte ou sélective notamment en raison de l’absence de publication sur SIMAP (qui, on le rappelle, est l’organe de publication officiel des marchés publics) et dans la Feuille des avis officiels (FAO). Aussi, la décision d’adjudication doit uniquement faire l’objet d’une notification individuelle aux soumissionnaires. En outre, les délais minimaux prévus à l’article 20 du règlement d'application de la loi sur les marchés publics (RLMP-VD), en particulier le délai de 40 jours pour la remise des offres en procédures ouvertes et sélectives, ne s’appliquent pas en procédure sur invitation. Les pouvoirs adjudicateurs restent donc libres de prescrire un délai de remise des offres plus court. Il faut toutefois garder en tête que la fixation d’un délai trop bref peut avoir des conséquences négatives sur le nombre d’offres remises ainsi que sur la qualité de ces dernières. Enfin, contrairement aux procédures ouvertes et sélectives, les soumissionnaires invités n’ont pas la possibilité de recourir contre la documentation de soumission. Pour le surplus, conformément à l’article 9, alinéa 1 RLMP-VD, les règles régissant les procédures ouvertes et sélectives sont applicables par analogie à la procédure sur invitation. Ainsi, par exemple, les négociations avec les soumissionnaires ne sont pas autorisées.

Dans la mesure où l’aptitude des candidats est examinée en amont de la procédure sur invitation et que, partant, seules des entreprises réputées qualifiées pour le marché sont invitées à soumissionner, le pouvoir adjudicateur renonce en principe à fixer des critères d’aptitude. De plus, cette procédure étant moins contraignante que les procédures ouvertes et sélectives, l’évaluation des offres peut s’effectuer à l’aide d’un nombre de critères d’adjudication moins important.

Il est du reste intéressant de constater que la procédure sur invitation est très peu règlementée dans la législation vaudoise sur les marchés publics. En effet, outre les articles précités ainsi que l’article 7a, alinéa 2 LMP-VD et l’article 11, alinéa 2 RLMP-VD, ce type de procédure ne fait l’objet d’aucune autre disposition dans la LMP-VD et le RLMP-VD.

Affaire du Musée Jenisch

Dans l’affaire du Musée Jenisch (arrêt de la Cour de droit administratif et public [CDAP] du Tribunal cantonal MPU.2010.0007 du 28 juin 2010), le pouvoir adjudicateur avait sollicité cinq offres dans le cadre d'une procédure sur invitation. Trois offres avaient finalement été déposées. Toutefois, seule une l’avait été régulièrement, les deux autres étant parvenues au pouvoir adjudicateur hors délai. Comme la seule offre valable en lice dépassait le niveau maximal des coûts évalués par le pouvoir adjudicateur, ce dernier a refusé de lui adjuger le marché et a retenu l'une des deux offres tardives. Le soumissionnaire ayant déposé la seule offre valable a recouru contre la décision d’adjudication.

Dans son arrêt, la CDAP expose que, saisi d'une seule offre, le pouvoir adjudicateur peut se trouver dans l'impossibilité de procéder à un véritable choix qui lui permette notamment de ménager au mieux les deniers publics. Il est dès lors légitime de se demander si, en pareille situation, l'obligation faite au pouvoir adjudicateur de solliciter au moins trois offres n'implique pas qu’il dispose effectivement d'au moins trois offres au moment d'adjuger le marché. La Cour laisse toutefois cette question indécise, dans la mesure où il ne peut pas être exclu d'emblée que la ou les offres remises répondent néanmoins aux exigences de l'appel d'offres, y compris du point de vue de la technique et du prix, de sorte que le pouvoir adjudicateur doit rester libre d'attribuer le marché en pareilles circonstances.

Toujours selon la CDAP, la procédure sur invitation présente le risque que personne ne réponde à l'offre ou seulement un nombre insuffisant de soumissionnaires. Dans un tel cas, il est admis que le pouvoir adjudicateur a le choix, soit d'adjuger le marché en fonction des offres disponibles, soit d'interrompre la procédure et de la reprendre dès le début. Peuvent notamment être considérés comme de justes motifs d'interruption de la procédure le fait que les offres remises dépassent le niveau maximal des coûts évalués ou qu’elles ne permettent pas de garantir une concurrence efficace (article 41, alinéa 1, lettre c et d RLMP-VD).

Au final, la CDAP a admis partiellement le recours et a annulé la décision d’adjudication.

En conclusion, l’arrêt de la CDAP nous enseigne principalement que le pouvoir adjudicateur qui, en procédure sur invitation, reçoit moins de trois offres conserve la possibilité de poursuivre la procédure avec l'offre ou les deux offres reçues, pour autant que celles-ci répondent aux exigences de l'appel d'offres, y compris sous l'angle du prix. Il est également en droit, suivant les circonstances, d'interrompre la procédure sur la base de l'article 41 RLMP-VD (cette disposition étant de nature potestative) et d'en recommencer une.

Et qu’en est-il si aucune offre n’est déposée ?

Il peut arriver que le pouvoir adjudicateur, après avoir sollicité au moins trois offres, n’en reçoive aucune en retour. Dans ce cas, plusieurs choix se présentent à lui. Il peut notamment répéter la procédure sur invitation, voire même lancer une procédure ouverte afin de toucher davantage de soumissionnaires. Il pourrait également opter pour la procédure de gré à gré exceptionnelle au sens de l’article 8 RLMP-VD. En effet, en vertu de l’article 8, alinéa 1, lettre a RLMP-VD, le fait qu’aucune offre ne soit présentée dans le cadre d’une procédure sur invitation peut justifier l’application de cette modalité particulière de la procédure de gré à gré. Une publication de l’adjudication avec ouverture des voies de recours et indication du motif est alors obligatoire.

 

 


Secrétariat général du DIRH (SG-DIRH)

Pour en savoir plus :

Site internet de l’Etat de Vaud : www.vd.ch/marches-publics

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