Le contrat consécutif à l’adjudication du marché

Cette chronique présente des problématiques rencontrées par les communes ou leurs mandataires dans le cadre de l’application des marchés publics, qui sont régulièrement soumises pour détermination au Centre de compétences sur les marchés publics du canton de Vaud (CCMP-VD). Elle vise à sensibiliser les communes sur certains aspects particuliers des marchés publics et à leur fournir les outils nécessaires à la résolution de situations parfois complexes.

Photo immortalisant une signature d'un contrat
Photo immortalisant une signature d'un contrat Photo immortalisant une signature d'un contrat
Publié le 11 septembre 2023

Introduction

L’entrée en force de la décision d’adjudication marque la fin de la phase marché public et le début de la phase contractuelle. Le carcan du droit (public) des marchés publics, à savoir dans le canton de Vaud l’AIMP 2019, la LMP-VD et le RLMP-VD, laisse place à l’application du droit (privé) des contrats (Code des obligations). Si la relation adjudicateur-adjudicataire est empreinte de davantage de liberté que la relation adjudicateur-soumissionnaires, la liberté contractuelle de l’adjudicateur et de l’adjudicataire est toutefois limitée. Il s’agit en effet de conclure non pas n’importe quel contrat de droit privé, mais le contrat projeté par l’adjudicateur lors de la mise en soumission du marché dans le cadre d’une procédure de marché public.

La conclusion du contrat est-elle obligatoire ?

L’adjudication ne crée pas d’obligation de contracter à la charge de l’adjudicateur. En effet, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une décision d’adjudication rendue conformément au droit des marchés publics ne constitue pas une acceptation de l’offre de l’adjudicataire mais a (seulement) pour effet de lever l’interdiction faite à l’adjudicateur de conclure le contrat en question avec le cocontractant de son choix1.

L’adjudicateur ne peut toutefois refuser de conclure le contrat que s’il est de bonne foi2. Le lancement d’une procédure de marché public implique en effet que l’adjudicateur ait l’intention de la mener à son terme, soit en l’occurrence jusqu’à la conclusion du contrat projeté. La renonciation à conclure le contrat doit donc reposer sur des raisons objectives, que l’adjudicateur doit communiquer à l’adjudicataire de façon parfaitement transparente.

L’adjudicataire souhaitant contester en justice le refus de l’adjudicateur de conclure le contrat ne pourrait agir que sur le fondement de la responsabilité précontractuelle3. Il pourrait prétendre à une indemnisation mais ne pourrait obtenir la condamnation de l’adjudicateur à conclure le contrat en cause.

Par ailleurs, l’adjudicataire, bien que lié par son offre durant le délai de validité de celle-ci (de sorte qu’il doit exécuter les prestations promises si son offre est acceptée par l’adjudicateur), peut lui aussi renoncer à conclure le contrat, là encore à condition d’être de bonne foi. Il est en outre recommandé à l’adjudicateur d’obtenir de l’adjudicataire un engagement écrit dans lequel ce dernier renonce au marché lui ayant été adjugé.

Quand conclure le contrat ?

L’adjudicateur ne doit pas seulement adjuger le marché pendant la durée de validité des offres des soumissionnaires (durée fixée par l’adjudicateur dans ses documents d’appel d’offres : art. 35, al. 1, let. r AIMP) ; il doit également conclure le contrat pendant la durée de validité de l’offre du soumissionnaire ayant remporté le marché. Passé ce délai, l’adjudicataire est libéré des engagements pris dans son offre et l’adjudicateur ne peut pas décider seul de les faire renaître. L’adjudicateur a donc intérêt à prévoir une durée de validité des offres suffisamment longue (du moins lorsque les conditions du marché s’y prêtent) ou en tout cas cohérente avec la durée escomptée de la procédure (complexité du marché mis en soumission et de la phase d’évaluation attendue, prise en compte des délais de recours, …).

A l’approche de l’échéance du délai de validité de l’offre de l’adjudicataire, l’adjudicateur peut lui demander de prolonger la durée de validité de son offre. Pour le cas où l’adjudicateur aurait laissé le délai de validité de l’offre s’écouler intégralement, il peut proposer à l’adjudicataire de présenter une nouvelle offre, à condition que cette dernière soit en tout point identique à son offre initiale, conformément au principe d’intangibilité des offres (car la nouvelle offre ne se distingue alors pas matériellement de l’offre initiale). Pour des raisons évidentes de preuve, il est recommandé que les échanges relatifs à la durée de validité de l’offre s’effectuent par écrit (courrier ou email).

Si l’adjudicataire refuse de prolonger ou de renouveler son offre initiale, l’adjudicateur n’aura d’autre choix que de révoquer l’adjudication prononcée en sa faveur (art. 44 AIMP). A l’issue du délai de recours de 20 jours (art. 56, al. 1 AIMP) contre cette décision de révocation, l’adjudicateur pourrait lancer une nouvelle procédure.

Le contrat peut-il s’écarter de la décision d’adjudication ?

Les grands principes du droit des marchés publics – transparence, interdiction des négociations, égalité de traitement entre les soumissionnaires – continuent de produire leurs effets dans la phase contractuelle. Cela a une incidence sur les règles applicables au contenu du contrat consécutif à une décision d’adjudication.

La règle de base est la suivante : tous les éléments essentiels du futur contrat sont fixés au moment de l’adjudication, mais l’adjudicateur et l’adjudicataire peuvent, dans le cadre des négociations contractuelles qui succèdent à l’adjudication, s’entendre librement sur des points secondaires4. Le contrat doit donc se conformer à la décision d’adjudication en termes de prestations, de prestataire et de prix. La doctrine considère toutefois que même ces points peuvent encore faire l’objet d’ajustements mineurs, c’est-à-dire n’entraînant pas une modification du classement des offres enregistrées. L’appréciation du caractère mineur ou non de la modification est relativement délicate car fondée sur des hypothèses. Elle doit reposer sur la plausibilité du fait que l’offre de l’adjudicataire restera la plus avantageuse (cf. art. 41 AIMP), autrement dit première au classement en dépit de la modification apportée.

Prestations fournies par l’adjudicataire

Dans la mesure où l’adjudication prive l’adjudicateur de la liberté de choisir son cocontractant, un changement de prestataire au moment de la conclusion du contrat équivaut à une modification du marché. Ainsi l’adjudicataire ne peut-il pas, par exemple, constituer, postérieurement à l’adjudication, un consortium avec d’autres entreprises pour exécuter le marché lui ayant été adjugé. De même, il n’est pas possible de modifier la composition d’un consortium adjudicataire du marché.

De surcroît, le contrat ne peut pas, en principe, porter sur une partie seulement des prestations adjugées. En effet, l’adjudicataire n’a formulé son offre (en particulier son prix) que dans l’optique où il obtiendrait un contrat pour le tout. Il faut donc déterminer quel aurait été son prix si les prestations mises en soumission avaient correspondu à celles pour lesquelles la contractualisation est envisagée. Il convient en outre de se demander si la modification des prestations aurait pu, d’une part, amener les autres soumissionnaires à formuler une offre différente qui se serait avérée finalement plus avantageuse que celle de l’adjudicataire et, d’autre part, élargir le cercle des soumissionnaires. En tout état de cause, l’adjudicateur qui renonce à certaines des prestations contenues dans le cahier des charges au moment de conclure le contrat doit être de bonne foi et pouvoir justifier cette modification sur la base de motifs objectifs5. Dans certains cas, il s’en sera d’ailleurs expressément réservé la possibilité dans ses documents d’appel d’offres.

Modalités d’exécution des prestations par l’adjudicataire

Le même raisonnement – motifs objectifs et pas de modification du classement des offres ni du cercle des soumissionnaires – s’applique aux modifications portant sur les modalités d’exécution des prestations adjugées, par exemple en cas de report de la date de début d’exécution du contrat. Les aménagements du planning d’exécution sont relativement fréquents en pratique, particulièrement lorsque l’adjudication a fait l’objet d’un recours (mais a finalement été confirmée par le tribunal). Le risque que cette modification soit considérée comme inadmissible est limité, puisque tous les soumissionnaires auraient été affectés de la même manière par le retard lié à la contestation judiciaire de l’adjudication.

Prix payé par l’adjudicateur

S’agissant de l’élément essentiel du contrat qu’est le prix, le contrat doit en principe porter sur le montant de l’offre de l’adjudicataire. En cas de réduction des prestations (par hypothèse conforme aux règles énoncées ci-dessus), il est toutefois possible de contracter pour un montant tenant très exactement compte (cf. interdiction des négociations) de cette réduction. En outre, des ajustements liés aux fluctuations des prix des matières premières devraient être possibles. En effet, si un renchérissement des prix, respectivement un abaissement des prix, est intervenu dans un domaine particulier, il devrait en principe toucher l’ensemble des acteurs de la branche de manière plus ou moins semblable et ce, même si ce changement n’est pas basé sur l’indice des prix à la consommation. Dans cette hypothèse, une adaptation des prix de l’offre de l’adjudicataire aux prix actuels ne devrait pas avoir pour conséquence de modifier le classement des offres enregistrées.

En conclusion : prudence…et anticipation !

L’adjudicateur doit donc faire preuve d’une grande prudence lorsqu’il propose à l’adjudicataire, dans le cadre des pourparlers contractuels, de s’écarter sur certains points de la décision d’adjudication. Si les pourparlers sur les aménagements proposés n’aboutissent pas et que le contrat n’est finalement pas conclu, l’adjudicataire pourrait intenter une action en responsabilité précontractuelle. En outre, si les aménagements convenus sont inadmissibles au sens des principes énoncés plus haut (transparence, interdiction des négociations, égalité de traitement entre les soumissionnaires), cela revient à adjuger de gré à gré les prestations s’écartant trop de la décision d’adjudication. Se pose alors la question du respect des exigences fixées pour ce type de procédure.

Cela étant précisé, de trop amples aménagements dans la phase contractuelle peuvent être révélateurs d’une procédure marché public menée de manière non optimale (particulièrement lorsque ces aménagements se répètent). D’où l’intérêt pour l’adjudicateur de préparer avec soin la mise en soumission du marché, en clarifiant ses besoins suffisamment en amont et en joignant à ses documents d’appel d’offres un projet de contrat aussi abouti que possible.

 


1 ATF 129 I 410.

2 Art. 2 du Code civil.

Culpa in contrahendo.

4 ATF 134 II 297. Jurisprudence récemment confirmée dans un arrêt du Tribunal fédéral du 5 avril 2023 (2C_636/2022 ; 2C_637/2022).

5 A noter que l’on ne se trouve pas dans l’hypothèse d’une modification des prestations adjugées lorsqu’une partie d’entre elles a été adjugée sous conditions (par exemple sous condition de l’obtention d’un crédit) et que cette condition n’est finalement pas réalisée.


Secrétariat général du Département de la culture, des infrastructures et des ressources humaines (SG-DCIRH)
Centre de compétences sur les marchés publics du canton de Vaud (CCMP-VD)

Contact

Secrétariat général du Département de la culture, des infrastructures et des ressources humaines (SG–DCIRH)
Centre de compétences sur les marchés publics du canton de Vaud (CCMP–VD)
Place de la Riponne 10 – 1014 Lausanne
Tél. 021 316 70 07 – info.ccmp@vd.ch