Quel droit à l'information sur les personnes morales en main des communes ?

Les communes peuvent être partie prenante de diverses personnes morales de droit privé, par exemple par la détention de participations d’une société de capitaux (typiquement une société anonyme) ou par l’adhésion à une fondation ou à une association. La présente contribution expose l’étendue du droit à l’information de la commune vis-à-vis de ces personnes morales ainsi que celle du conseil communal ou général et de ses commissions de gestion et des finances vis-à-vis de la municipalité.

Photo d'illustration d'un local d'archives
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Publié le 19 juin 2023

Dans le cadre de la modernisation des institutions vaudoises au début des années 2000, un changement de paradigme a eu lieu au sein des administrations publiques : la règle n’est plus le secret mais la transparence. L’art. 17 Cst./VD consacre ainsi les libertés d’opinion et d’information qui comprennent notamment « le droit de consulter les documents officiels, dans la mesure où aucun intérêt prépondérant, public ou privé, ne s'y oppose ». Ces principes s’appliquent avant tout aux collectivités publiques, mais également aux personnes morales qui accomplissent des tâches publiques.

C’est tout d’abord la loi du 24 septembre 2002 sur l’information (LInfo) qui matérialise le droit à l’information. Cette loi poursuit le but de garantir la transparence des activités des autorités afin de favoriser la libre formation de l'opinion publique. Elle s’applique notamment aux autorités communales et aux personnes physiques et morales auxquelles une commune confie des tâches publiques. Au surplus, la loi du 28 février 1956 sur les communes (LC) octroie un droit à l’information aux membres du conseil communal ou général et à ses commissions. De plus, la loi du 17 mai 2005 sur les participations de l'Etat et des communes à des personnes morales (LPECPM) prévoit quelques droits et obligations spécifiques pour les personnes morales desquelles le Canton et les communes détiennent des participations. Pour le reste, le code civil (CC), le code des obligations (CO) ou encore les statuts de la personne morale fournissent plusieurs moyens aux communes pour obtenir des informations.

Droit à l’information de la commune (vis-à-vis de la personne morale)

Le représentant d’une commune au sein d’un organe de la haute direction d’une personne morale doit informer celle-ci à différents égards (art. 15 LPECPM). Il doit notamment rapporter au sujet de la mise en œuvre des objectifs stratégiques et financiers que la commune entend atteindre au moyen de sa participation. Il doit aussi mettre en évidence les situations dans lesquelles les intérêts de la commune divergeraient de ceux de la personne morale concernée. Il doit encore communiquer toute situation de conflits d’intérêts ainsi que les éventuelles rémunérations qu’il obtient de la personne morale (al. 2). La lettre de mission (ou l'avenant au cahier des charges) précise la forme des rapports du représentant de la commune (al. 3). Il convient toutefois de préciser que les membres de l'organe exécutif d'une personne morale doivent en principe fidélité à cette dernière, même s'ils ont été nommés en tant que « représentants » d'une collectivité publique. Les obligations découlant des lettres de mission, et notamment le devoir d'information, trouvent leurs limites dans ce devoir de fidélité. Ainsi, si la divulgation d'une information à la commune est susceptible de porter préjudice aux intérêts de la personne morale, le représentant devra s'abstenir de communiquer, du moins temporairement.

Les communes ont l’obligation de suivre l'activité des personnes morales dont elles détiennent des participations (art. 17 al. 1 LPECPM). Elles doivent donc s’assurer que leurs représentants se conforment aux obligations susmentionnées. Il est ensuite nécessaire que les informations récoltées soient correctement traitées par la municipalité. Notamment, la municipalité doit intégrer dans son rapport de gestion annuel (au sens de l’art. 93c al. 2 LC) les informations concernant ces personnes morales (sauf celles qui découlent d'un secret protégé par le droit supérieur).

Si la commune n’a pas de représentant au sein du conseil d’administration d’une société anonyme, c’est essentiellement en utilisant les droits sociaux découlant de ses participations qu’elle peut obtenir des informations. En tant qu’actionnaire, elle peut exercer son droit à l’information au moyen des articles 697 et suivants du Code des obligations. Le droit à l’information des actionnaires, qui a été renforcé avec la dernière révision du droit des sociétés anonymes entrée en vigueur au 1er janvier 2023, se compose d’un droit aux renseignements et d’un droit à la consultation. Concrètement, pour les sociétés non cotées en bourse, des actionnaires représentant ensemble au moins 10 % du capital-actions ou des voix peuvent demander par écrit des renseignements au conseil d’administration sur les affaires de la société (art. 697 CO). En outre, des actionnaires détenant ensemble plus de 5 % du capital-actions ou des voix peuvent consulter les livres et les dossiers de la société, dans la mesure où cela est nécessaire à l’exercice de leurs droits d’actionnaire et si le secret des affaires ou les intérêts de la société ne sont pas compromis (art. 697a CO). Les statuts de la société anonyme peuvent octroyer aux actionnaires des droits plus étendus. La municipalité est compétente pour faire usage de ces droits sociaux. Les membres du conseil communal ou général peuvent l’inviter – mais non l’obliger – à entreprendre des démarches, en particulier par la voie du postulat (art. 31 al. 1 let. a LC) et de l’interpellation (art. 34 LC).

Droit à l’information du conseil communal ou général (vis-à-vis de la municipalité)

Les informations détenues par la municipalité sur les sociétés anonymes, fondations et associations dont la commune fait partie peuvent être demandées par le conseil communal ou général d’après les règles usuelles. Ainsi, tout membre du conseil général ou communal peut avoir accès à l'information nécessaire à l'exercice de son mandat, pour autant que ladite information ne réside pas dans un document interne, qu’elle ne relève de la sécurité de la commune ou qu’elle ne doive rester confidentielle pour des motifs prépondérants tenant à la protection de la personnalité ou d'un secret protégé par la loi (art. 40c LC).

Il est nécessaire d’examiner au cas par cas si la municipalité est tenue de garder la confidentialité sur des informations à sa disposition. A notre sens, si une municipalité s’est engagée à la confidentialité par une convention d’actionnaires, elle peut être interdite de divulguer certaines informations aux membres du conseil communal ou général. En outre, comme déjà relevé, un devoir de confidentialité découle du devoir de fidélité des membres de l'organe dirigeant de la personne morale, ce qui peut similairement restreindre l’étendue du droit à l’information des conseillers.

La question de savoir si les informations demandées par un membre du conseil communal ou général sont nécessaires à l’exercice de son mandat dépend des circonstances. Il est par exemple légitime, pour un conseiller, de demander des informations dans l’optique de la rédaction d’un postulat visant la personne morale. En cas de doute, la municipalité peut demander au conseiller qu’il motive sa requête, notamment en expliquant sa démarche ainsi que l’intérêt des informations souhaitées. En cas de désaccord, le préfet tente la conciliation puis, si elle échoue, statue sur la demande (art. 40c LC). Si les informations ne sont pas utiles à son mandat, le conseiller peut les demander – comme tout citoyen – en invoquant la loi sur l’information (cf. ci-dessous).

Droit à l’information des commissions de gestion et des finances (vis-à-vis de la municipalité)

Les membres des commissions de surveillance bénéficient d’un droit à l’information plus étendu que les autres conseillers, dès lors que seules les informations couvertes par un secret protégé par le droit supérieur ne doivent pas leur être divulguées (art. 93e LC). On souligne ici que le secret d’affaires constitue un tel secret protégé par le droit supérieur (cf. par exemple l’art. 162 du Code pénal suisse). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les informations protégées par le secret d’affaires sont notamment celles concernant les sources d'achat et de ravitaillement de l'entreprise ou encore celles relatives à son organisation et sa production. Concrètement, il s'agit de toutes les informations qui pourraient impacter négativement le chiffre d'affaires de l'entreprise si elles étaient révélées. A notre sens, il faut toutefois interpréter restrictivement la limite que constitue le secret d'affaires au droit à l'information des membres des commissions de surveillance, compte tenu notamment du fait que le cercle des destinataires de ces informations est ici relativement restreint et que ceux-ci sont soumis au secret de fonction.

Nous avons relevé plus haut que la municipalité doit spontanément retranscrire dans son rapport de gestion certaines informations sur les personnes morales de la commune. Corolairement, la commission de gestion (ou la commission de gestion-finances) doit examiner ces informations et en rapporter au conseil communal ou général (cf. art. 18 LPECPM). Il lui appartient notamment de contrôler que la personne morale a dûment accompli les tâches qui lui ont été déléguées par la commune et de vérifier que la municipalité a entrepris les démarches idoines pour s'en assurer.

Droit à l’information des citoyens (vis-à-vis de la personne morale)

La loi sur l’information s’applique aux personnes morales auxquelles le canton ou une commune confie des tâches publiques (art. 2 al. 1 let. f LInfo). Dans les grandes lignes, la notion de « tâches publiques » couvre toutes les tâches que la commune devrait accomplir elle-même si elle ne les déléguait pas. La jurisprudence a notamment admis que des entités telles que la Société vaudoise d'aide sociale et culturelle de la Loterie Romande, Tridal SA ou encore la société anonyme du Centre sportif de Malley étaient soumises à la loi sur l’information (cf. arrêt de la CDAP du 2 novembre 2021, GE.2020.0076 consid. 2b/dd et réf. citées).

La personne morale peut, à titre exceptionnel, décider de ne pas publier ou transmettre des informations, de le faire partiellement ou de différer cette publication ou transmission si des intérêts publics ou privés prépondérants s'y opposent (art. 16 LInfo). Au titre des intérêts privés prépondérants, on retrouve à nouveau les secrets protégés par la loi dont le secret d’affaires.

 


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Direction des affaires communales et des droits politiques (DACDP)

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