Interview de Karim Boubaker, médecin cantonal : «Lorsqu’on parle de la mort, on parle surtout de la vie »
Plus de 1700 participant-e-s, des ateliers affichant complet et des conférences-débats très suivies : le symposium public « Couleurs de la mort », organisé par le DSAS en collaboration avec Palliative Vaud du 5 au 8 octobre 2022 à Lausanne, a rencontré un franc succès. Bilan avec Karim Boubaker, médecin cantonal, qui a dirigé l’organisation de l’événement.
Quel bilan dressez-vous de cette manifestation ?
Le bilan est excellent ! En particulier, parce nous avons pu réunir des personnes d’horizons très différents : des citoyens, des soignants, des membres d’associations, des professionnels de l’accompagnement… Tous ont pu réellement échanger, de manière enrichissante, sur des thèmes aussi bien techniques, comme l’humusation, que philosophiques et éthiques. Nous avons bénéficié d’orateurs de grande qualité, mais aussi de la force d’un programme qui a fait la part belle à des œuvres d’art de diverses disciplines, qui montré l’importance de la symbolisation pour appréhender cette expérience fondamentale.
Qu’est-ce qui vous a surpris ?
De découvrir que lorsqu’on parle de la mort, on parle avant tout de la vie ! En réalité, quand on parle de cette étape, on évoque surtout la période entre la vie et l’état de mort. Entre les deux, il se passe tellement de choses ! Les soins palliatifs, l’accompagnement par des « doulas », les rituels qu’on effectue avant et même après le décès : toutes ces actions font toujours partie de la vie… Ce qui m’a également beaucoup surpris, ce sont les réponses spirituelles et d’accompagnement qui se sont développées, au cours de ces dernière années. Appréhender la mort n’est pas démodé en 2022.
C’est une découverte ?
En tant que médecin, j’avais l’impression qu’on avait enfermé cette réalité dans un « linceul », comme pour en atténuer les effets négatifs, mais avec comme résultat d’atténuer les sensations et sentiments que l’on ressent lorsqu’on la côtoie. J’ai donc découvert avec beaucoup de plaisir qu’en réalité, de nouvelles idées ont émergé, en marge des réponses traditionnelles, comme l’accompagnement du deuil et l’accompagnement spirituel en fin de vie) mais aussi la quête de nouveaux rituels cherchant à être plus « durables » ou « naturels ». Cela peut aller de la dispersion des cendres, le recours à des urnes biodégradables jusqu’à l’humusation ou l’aquamation, qui est une « crémation dans l’eau » …). Tout cela va de pair avec l’apparition de nouveaux métiers. J’ai le sentiment que nous sommes dans une période de transition entre une époque avec des réponses spirituelles traditionnelles et une phase où foisonnent de nouvelles propositions. Cela indique que notre travail, en tant qu’autorités de santé, sera de permettre et d’encadrer l’éclosion de ces nouvelles réponses, comme certaines professions – je prends l’exemple des doulas ‑ qui font pleinement sens par rapport aux besoins de la société. Il nous faudra également accompagner les porteurs d’une tradition car la religion reste très présente dans nos vies.
Y aura-t-il une deuxième édition ?
Non..., ou du moins pas sous cette forme. Nous allons synthétiser ce que cette manifestation a mis en lumière dans un rapport qui sera remis au Grand Conseil en réponse au postulat de Léonore Porchet, qui est à l’origine de cet événement. C’est l’un des volets de notre mandat. D’autre part, les différents acteurs qui ont participé à ce projet vont se réunir, au printemps prochain, avec comme objectif d’être des forces de proposition pour notre mission, qui est de faire évoluer les politiques publiques qui touchent de près ou de loin à la mort.