Dr François Bastardot (CHUV) : « Le dossier électronique permet d’instaurer un véritable partenariat entre le médecin et son patient »

Spécialiste des systèmes d’information clinique au CHUV, le Dr Bastardot croit au DEP.

« Aux Etats-Unis, l’accès direct à ses propres données cliniques est une prestation courante » : précise le Dr François Bastardot, qui s’est formé durant deux ans à l’université de Harvard, auprès Prof. David Bates, « pape » des systèmes d’information clinique à Boston. En parallèle, il a obtenu un Master d’informatique clinique à la Vanderbilt University, au Tennessee, l’une des meilleures universités américaines dans le domaine. Aujourd’hui, il exerce en tant que médecin adjoint à la direction médicale et la direction de l’innovation et recherche clinique et dirige une équipe qui accompagne le CHUV dans la modernisation de son système d’information clinique.

Il voit d’un bon œil la simplification des démarches pour ouvrir un dossier électronique du patient (DEP), annoncée en mai par le DSAS, avec notamment la possibilité d’obtenir un identifiant sécurisé par vidéo depuis son smartphone,et d’être accompagné dans l’un des nouveaux guichets pour créer son DEP en moins d’une demi-heure. Le CHUV, déjà très avancé dans le déploiement de cette prestation, suivra le mouvement avec un lieu supplémentaire permettant d’ouvrir un DEP dans les locaux de l’hôpital.

Vous avez contribué au déploiement du DEP au CHUV. Où en est-on ?

Plus de 1350 patients utilisent le DEP au CHUV à ce jour. Les documents rédigés pendant leur séjour ou leur prise en charge ambulatoire sont publiés dans leur dossier presque en temps réel, et de manière automatique. Cela permet entre autres au patient d’avoir une bonne compréhension de ses traitements, et d’en discuter avec son médecin, d’instaurer un véritable partenariat pour ses soins. Désormais, les patients s’informent beaucoup via internet, et nous, médecins, devons en tenir compte. Le DEP n’est toutefois qu’une petite partie de la mission de notre équipe. Nous devons former les médecins, les soignants et les membres du personnel administratif à l’utilisation du système d’information clinique, qui est en mutation. Saviez-vous que nous utilisons environ 200 applications pour la prise en charge d’un patient ?

Quels sont les avantages du DEP ?

Imaginez-vous l’arrivée d’un patient âgé aux urgences, un vendredi à 19h. Il vient de chez lui ou d’un établissement médico-social (EMS). Impossible de joindre son médecin traitant ou référent. Le patient est confus, voire inconscient. De plus, il est rare qu’un patient se présente muni de son carnet du CMS, où sont compilés les documents de son suivi médical. Mes collègues n'ont donc aucune possibilité de savoir quels traitements lui sont administrés, ni quels examens ont été réalisés au cours des dernières heures ; à moins que ces informations n’aient été digitalisées. Dans l’éventualité où il faudrait le réanimer, ni les médecins ni les soignants n’ont accès à ses directives anticipées. Dans ces conditions, ils font de leur mieux pour assurer sa prise en charge. Mais cela ne permet pas de donner des soins d’une qualité optimale.

Le DEP a le potentiel de faciliter grandement la transition de la communauté vers l’hôpital, surtout pour les patients avec des problèmes de santé complexes. Et si les résultats et les interprétations médicales d’investigations, telle une IRM, figurent dans le DEP, on évite de refaire inutilement des examens coûteux. Aujourd’hui, l’un des enjeux majeurs, en Suisse et au niveau mondial, est de faciliter la transition des patients d’un milieu à l’autre, grâce à des systèmes d’information clinique interconnectés.

Et vous, qu’est-ce qui vous motive ?

La santé publique ! Chaque rapport publié dans le DEP a un impact sur la qualité de vie de la population. C’est cela qui nous motive, en tant que médecins.

Comment peut-on évaluer la plus-value du DEP ?

En documentant son déploiement par des méthodes scientifiques. Actuellement, avec la professeure Veronika Schoeb de la Haute école de santé Vaud (HESAV), nous préparons une étude sur la perception du DEP par les patients. Elle pourrait démarrer dès l’été 2023. Notre projet est d’interroger les mille premiers patients à avoir disposé d’un DEP. Nous voulons comprendre leurs motivations, examiner les impacts sur leur santé, etc. L’originalité de notre étude, c’est que nous souhaitons inclure aussi mille patients qui n’ont pas été intéressés par cette prestation. Nous aimerions mettre en lumière les raisons de leur choix et déterminer quels leviers on peut utiliser pour convaincre d’autres patients à faire ce pas.

Pourquoi étudier déjà les impacts du DEP ?

Les outils informatiques soutiennent de grandes avancées dans le domaine médical. Cela ne doit évidemment pas nous empêcher de développer notre esprit critique. Aux Etats-Unis, les études montrent que l’accès aux services digitaux relatifs à la santé (par exemple un portail patient) n’est pas le même selon l’appartenance à une minorité ou son niveau socio-économique. On a pu démontrer que plus le niveau d’éducation est élevé, plus l’espérance de vie et la qualité de vie augmentent. Il en va de même avec l’accès aux services digitaux en matière de santé, qui dépend également du niveau d’éducation : le risque est alors d’aggraver cette différence entre individus, alors que nous souhaitons augmenter la qualité de vie de l’ensemble de la population. Nous devrons être vigilants sur les aspects éthiques, juridiques, sociétaux. La société change rapidement. Avec elle, la pratique de la médecine évolue. Il est toutefois primordial que cette évolution se fasse de manière réfléchie, en veillant à maintenir le respect du patient et de ses intérêts au cœur de nos préoccupations.

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