© Philippe Gétaz

Boris Pourré, lauréat Flammes infirmières 2023 : « Les jeunes que j’accompagne m’apprennent des choses que j’ignorais sur l’humanité »

Portrait de Boris Pourré, l’un des quatre lauréats du prix des soins infirmiers

© Philippe Gétaz

« Les jeunes que j’accompagne ont conservé quelque chose qui les porte, malgré ce qu’ils ont enduré au cours d’un périple des plus déshumanisant. Ils m’apprennent des choses que j’ignorais sur l’humanité, certaines belles, d’autres terribles. » Boris Pourré est infirmier clinicien et case manager de transition pour adolescents en situation transculturelle à l’unité transculturelle du SUPEA du CHUV. Il travaille avec des migrants « mineurs non accompagnés », qu’il préfère appeler des « jeunes nouvellement accueillis ». Nominé par ses pairs, il est aussi, depuis le 12 mai 2023 l’un des quatre lauréat-e-s de la première édition du prix « Flammes des soins infirmiers », décerné par le DSAS à l’occasion de la journée des infirmières.

Dans la vie, Boris Pourré est un papa qui s’organise pour emmener ses enfants à la crèche et à l’école. Au travail, il est un infirmier spécialisé en santé mentale, très apprécié par ses collègues pour son humanisme, sa capacité à persévérer et son engagement.

Un riche parcours

Boris Pourré l’admet volontiers : il faut avoir les épaules solides pour faire ce métier. Il les a d’ailleurs « renforcées » au cours de ses propres pérégrinations, qui l’on mené de France en Suisse. Après un diplôme d’études supérieures universitaires à Paris VIII, il a travaillé pendant huit ans dans une unité de crise et dans un centre médico-psychologique à Orléans. Une fois en Suisse, il a exercé à Cery, comme infirmier, puis infirmier clinicien. Aujourd’hui, il cumule plus de 20 ans d’expérience, et conserve un enthousiasme d’étudiant lorsqu’il parle de sa passion : l’ethnopsychiatrie (branche de la psychiatrie qui tient compte des particularités culturelles pour adapter les soins cliniques).

Sa fonction implique de travailler en collaboration avec une équipe pluridisciplinaire, pour reconstituer une « enveloppe protectrice » autour de ces adolescents, forcés de quitter leurs parents, leur fratrie et leurs amis. Ces jeunes ont en effet traversé une partie du monde et souvent vécu de multiples agressions ou abus jusqu’à leur arrivée en Suisse dans l’un des centres d’enregistrement des demandes d’asile. Avec un collègue, Sydney Gaultier, psychologue associé au CHUV, Boris Pourré a développé une méthode d’accueil, nommée « intervention initiale brève en santé mentale » ; une approche qui permet de proposer des premiers soins en santé mentale, appropriés dans le cadre d’un état de stress post-traumatique.

Des enfants traités comme des marchandises

« La grande majorité souffre de ce syndrome. En l’espace de quatre séances en binôme, nous créons un environnement où ils sentent en sécurité et osent évoquer leur souffrance. C’est très difficile pour les collègues de détecter cette détresse, car ces jeunes se présentent au monde avec le sourire. C’est dans leur éducation ; tout comme l’envie de travailler. Ils sont ici pour cela ‑ pour aider leur famille ; d’ailleurs, la plupart n’ont jamais expérimenté un moment de loisir comme nous l’entendons, ici. » Ce sourire qu’ils affichent, explique l’infirmier, cache la tristesse d’être séparés de leurs proches et les traces des violences subies. Bon nombre d’entre eux ont été traités comme de la marchandise qu’on déplace, battus par des passeurs… La plupart ont été soumis à des rythmes de marche infernaux, par des passages montagneux, sauvages et dangereux. Ils ont parfois été privés d’eau et de nourriture ; entassés dans la cale de bateaux flottant à grand’peine sur l’eau… Même si cela n’est pas apparent, ces jeunes gardent le souvenir des coups donnés par des représentants des forces de l’ordre lors de leurs multiples tentatives de passages à travers des frontières. Certains sont hantés par le souvenir d’avoir été la cible de tirs, de s’être fait voler leurs derniers biens ou leurs habits… Ils ont eu peur de mourir et ont vu des personnes mourir devant eux.

Parmi les récits qui ont marqué Boris Pourré, il y a celui d’un garçon, qui, avec ses compagnons, a trouvé le cadavre d’un garçon de son âge, sur le bord d’un chemin dans la montagne. Le groupe s’est chargé de lui donner une sépulture digne, ne pouvant se résoudre à le laisser sans le moindre hommage de ses pairs. « C’est un acte de résilience qui en dit long sur la force de ces jeunes, de leur humanité, et sur ce qu’ils peuvent apporter à notre société ».

Malmenés par la vie, ils restent capables d’une grande compassion. « En général, nous demandons ce qui les a étonnés en arrivant ici. Un garçon s’est mis à pleurer car il était choqué de voir des gens qui devaient mendier. Un autre nous a fait rire : il a cité le métro sans conducteur. »

Un métier du lien

En dehors de ces séances, Boris Pourré entretient les liens avec les partenaires de la prise en charge ; et s’investit dans le travail collectif qui s’enclenche en faveur de son patient. « Ma journée-type ? Faire un entretien d’intervention brève ou une séance de soins ou de relaxation ; échanger et me relier avec les collègues des autres disciplines. J’ai des contacts réguliers avec les infirmières de l’Unité de soins aux migrants, d’Unisanté (ndlr. professionnels des soins en charge du bilan de santé des migrants et de leur orientation dans le réseau médical), avec la curatrice du jeune, qui est sa représentante légale, avec des membres de l’EVAM, les éducateurs, avec des représentants des écoles… »

Boris Pourré résume ainsi son rôle : « Un case manager ne doit pas tout faire mais il doit s’assurer que tout ce qui est nécessaire au bon développement d’un enfant soit effectué…. Le but est de les aider à construire leur chemin jusqu’à la majorité et au-delà. Ils ont de nombreux défis à relever pour s’intégrer. Celui de la formation est primordial pour accéder à un emploi, via une qualification, comme par exemple, un apprentissage. Notre travail consiste aussi a rendre ce rêve possible »

Découvrez les portraits en vidéos des quatre lauréat-e-s des « Flammes »

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