« La honte empêche souvent les victimes de violences sexuelles de consulter »

Les cantons de Vaud, Genève et Valais ont lancé une campagne d’information commune sur leurs dispositifs de prise en charge des victimes d’agressions sexuelles dans les hôpitaux. Interview du Prof Tony Fracasso, directeur adjoint du Centre universitaire romand de médecine légale.

Prof Fracasso, vous avez participé à la création de cette campagne. Pourquoi ?

Je suis médecin légiste et, depuis 15 ans, responsable du volet médico-légal de la prise en charge des victimes d’agressions sexuelles aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Lorsque j’ai pris mes fonctions au CHUV en 2017, j’ai proposé d’adopter le même protocole, d’abord au CHUV, puis dans les hôpitaux vaudois d’intérêt public. Entre 2018 et 2021, les HUG et le CHUV ont mené une étude portant sur 741 victimes d’agressions sexuelles, ce qui a permis d’obtenir des informations précieuses pour orienter cette campagne. Lorsque j’ai été invité par le Département de la santé et de l’action sociale du canton de Vaud à y contribuer, j’ai accepté bien évidemment avec enthousiasme.

Quel est le message de cette campagne ?

L’objectif principal est d’informer la population de l’existence de ce dispositif médico-légal. La campagne insiste sur la déculpabilisation des victimes. Elle invite les personnes concernées à se rendre aux urgences, même si les souvenirs sont flous, même si l’agression a eu lieu dans leur lit ou à la suite d’un contact sur un site de rencontres. L’étude menée par les HUG et le CHUV a montré que la plupart des agressions ont lieu au domicile, et le souvenir des événements est fréquemment imprécis. Nous observons également une hausse des situations d’agression consécutives à des rencontres en ligne, où la victime a pourtant choisi de rencontrer son agresseur. Dans tous ces cas, la honte constitue souvent un frein majeur qui empêche les victimes de consulter. Le choix du mois de mai pour le lancement de la campagne se justifie par l’observation que les mois d’été — avec leurs longues journées et les vacances — favorisent les contacts sociaux, les situations à risque, et malheureusement aussi les agressions.

En quoi consiste le dispositif médico-légal ?

Il prévoit l’intervention des médecins légistes aux urgences, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, en collaboration avec un médecin spécialiste tel qu’un gynécologue, urgentiste ou pédiatre. Cela permet à la victime de recevoir tous les soins médicaux nécessaires et de préserver tout élément utile pour une procédure judiciaire grâce à une documentation des blessures et divers prélèvements. Cette prise en charge en binôme évite aussi à la victime de devoir répéter le récit de son agression. La consultation aux urgences offre aussi un soutien psychologique et aide à prévenir une éventuelle infection.

Tous les cantons romands n’ont pas ce dispositif ?

Actuellement, ce dispositif est disponible dans les cantons de Vaud, Genève et Valais. A titre d’exemple, en 2024, dans le canton de Vaud, 200 victimes ont été prises en charge aux urgences selon ce protocole.

Au moment de se rendre à l’hôpital, beaucoup de victimes ne savent pas encore si elles veulent déposer une plainte.

C’est un point important : le dépôt d’une plainte n’est pas une condition nécessaire pour que le médecin légiste intervienne. Il est essentiel de consulter à l’hôpital sans tarder, pour des raisons médicales. Il est tout à fait compréhensible que de nombreuses victimes aient besoin de temps pour réfléchir avant de décider de s’adresser à la police. D’ailleurs, la loi prévoit des délais de prescription relativement longs. Une fois les traces de l’agression conservées, les victimes peuvent ensuite décider sans précipitation si elles souhaitent engager une procédure judiciaire.

Qui sont les victimes que vous recevez à l’hôpital ?

Plus de 90 % des victimes sont des femmes, souvent jeunes, voire très jeunes. Nous sommes conscients que de nombreuses victimes ne consultent pas. Je pense notamment aux femmes victimes d’agressions sexuelles dans le contexte d’une violence domestique de longue durée, mais aussi aux hommes, aux personnes issues de la communauté LGBTQ+, ainsi qu’aux personnes en situation de précarité. À travers cette campagne, nous espérons également informer ces victimes afin qu’elles se sentent pleinement légitimes à demander de l’aide.

Campagne vidéo

« Même si… »

La nouvelle campagne intercantonale interpelle les victimes avec un message clair et direct « Même si les détails sont flous », « Même si ça s’est passé dans ton lit », « Même si vous vous connaissez », « Même si ça a commencé par un swipe ». Elle se décline en différents supports tels que flyers, affiches, un site internet et une campagne sur les réseaux sociaux. Elle dure de mai à août et sera reconduite en 2026 et 2027.

https://www.agression-sexuelle-urgences.ch/

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